J’ai vécu une fausse couche. Alors j’ai eu d’abord deux garçons, Lucien et Arnaud, en 95 et 97 et après c’était une troisième grossesse, en 2000. On aurait aimé un troisième enfant. C’était désiré.
Un matin où je m’étais levée, j’ai perdu du sang. Tous mes contrôles antérieurs chez le gynécologue étaient bons. Tout était en ordre. Tout se passait bien. Vu qu’il m’avait fait un curetage, il n’arrivait pas me dire si c’était une malformation chez l’enfant, ou ce qui était la cause de cette fausse couche.
Je prenais chaque fois la pilule entre mes enfants, alors je l’ai arrêtée comme pour les précédents enfants. C’est venu assez vite. Je suis tombée enceinte. J’étais très réglée, comme une horloge. Je suis assez vite tombée enceinte. Tout se passait bien. Je me sentais vraiment bien. Je me suis peut-être culpabilisée. Est-ce que j’aurais trop forcé? C’est des questions que je me suis posées par rapport à cette perte d’enfant. Est-ce que ça venait de moi? J’ai continué mes activités, j’allais courir. Vraiment, je me sentais bien!
Vu que je ne pouvais pas définir si c’était une anomalie, si c’était le fœtus. Je me suis beaucoup culpabilisée parce que j’allais courir. J’avais quand même les deux enfants avant, on venait d’emménager ici. Donc il y avait encore la maison. Je me suis beaucoup posé de questions par rapport à moi. J’aurais dû rester plus tranquille, mais vu que mes deux premières grossesses s’étaient bien passées, pour moi il n’y avait pas de souci. Ça allait se passer de la même manière.
Je me suis réveillée un matin, sans douleur, sans rien. Je me suis levée et j’ai eu comme une hémorragie. Je ne sais pas si j’avais saigné avant. J’ai été directement aux toilettes. Je perdais du sang donc j’étais très inquiète. On a attendu 8 h pour que je puisse téléphoner au médecin. Lui ne paraissait pas autrement inquiet. Il m’a dit : « Écoutez, vous descendez et vous venez faire le contrôle. » Mais il ne paraissait toujours pas inquiet : « Ça peut arriver pendant la grossesse, en début de grossesse, il y a des fois des pertes de sang. »
Quand j’ai été en contrôle chez lui, il avait tourné l’écran du monitoring contre moi pour me faire écouter le cœur. Lui pensait que c’était moi qui paniquais et que cela allait me réconforter. Et très vite, il n’a pas eu de paroles, mais une gestuelle. Il m’a dit : « On va écouter le cœur! Il n’y a pas de soucis, il ne faut pas vous inquiéter! » Et très vite quand il a vu et entendu qu’il n’y avait plus de cœur, il a tourné l’écran! Là, le voile est tombé. Je lui disais : « Il se passe quoi? Il y a quoi? » Je voyais qu’il était affairé, qu’il regardait son écran. Là, il y a eu un long moment, un vraiment long moment avant qu’il éteigne son écran, qu’il éteigne le monitoring. Et il me dit : « Ah, c’est votre corps qui le rejette. Le bébé est décédé. »
Je me serais attendue à ce qu’il me le montre et me dise : « Voyez là, c’est votre corps qui le rejette », que mon corps faisait ce processus d’élimination, si l’on veut bien. J’aurais voulu plus d’explications. Lui dans son schéma, c’était narcose complète et un curetage. À aucun moment, il ne m’a proposé une autre alternative ou quelque chose de plus naturel. Ou est-ce que j’avais besoin de le voir? Pour le gynécologue c’était d’office : « Vous rentrez à l’hôpital ce soir. Demain on vous fait une narcose complète. Comme ça vous oubliez, vous n’avez pas de mauvais souvenirs! Vous ne voyez rien du tout. » Là, de sa part, en ayant son expérience, il aurait dû demander. Avec le curetage, je ne pouvais pas le voir. Ils aspirent, tu ne peux pas voir l’enfant. Il aurait dû me le montrer à l’écran ou avoir une autre gestuelle. C’était vraiment le médical qui commençait. Toi, t’es là-dedans. C’était comme s’il me mettait dans une machine à laver, à ce moment-là.
Toi, tu vas chez le docteur et lui il parait confiant à te montrer le cœur : « Il n’y a pas de soucis ça arrive, ne vous inquiétez pas ». Et au moment où il tourne son écran et qu’il arrête, t’es « hop » dans la machine! Alors là il a commencé son processus « Vous rentrez à l’hôpital en fin d’après-midi, on vous fait cette narcose », vraiment comme un schéma, une préface qu’il te lit. T’es dans ce schéma-là.
Il n’y a plus de bébé qui fasse, il n’y a plus d’humain, c’était médical. Pour lui, c’était cette alternative-là sans prêter attention à la personne qui était en face, que cet enfant était désiré, que j’avais entendu son cœur, que c’était un petit bout de chou qui était dans mon ventre! Même que c’était tôt, c’était à 16 semaines. Il était « pitchou ». Mais c’était quand même un petit bonhomme qui était dans moi. C’était quand même une petite crevette. J’avais entendu le cœur! On avait dit aux gens parce que j’étais hors danger, façon de dire.
J’ai dû annoncer à ma famille. Quand on est parti le matin chez le gynécologue, on n’avait qu’une voiture. Donc avec Gérald, on a pris les enfants. Il est venu me conduire chez le gynécologue. Et il a été conduire les enfants chez Marguerite. Donc, j’ai dû appeler Gérald qui était chez ses parents. Mais on n’avait pas encore de natel. J’ai dû appeler sur le fixe, dire à Gérald qu’il devait venir me chercher. J’étais toute seule chez le gynécologue.
Là, c’était assez dur. Tu sors du cabinet, t’es un peu effondrée. Tout le monde te regarde. Les réceptionnistes te regardent. C’est comme si tu pars à l’abattoir. T’as cette salle d’attente qui est pleine de mamans qui attendent des enfants. Donc pour toi, il y a qu’une chose en vue, c’est la porte de sortie et « vous ne me demandez rien du tout. » Après j’ai appelé Gérald qui devait venir me chercher et lui n’a pas voulu confronter les enfants à ma présence, à ce moment-là. Donc il m’a conduite chez mes parents.
C’était assez difficile, car mon papa était dur avec moi. C’était : « Il n’y a pas de soucis, tu en refais un! ». J’ai passé une journée chez mes parents parce que je devais attendre le soir pour entrer à l’hôpital. Et les enfants étaient chez Marguerite donc c’était très tabou, en fait. C’était vraiment : « Mais pourquoi tu pleures, voilà ma fois, tu rebondis, tu vas faire passer celui-là et tu en refais un autre! » Il n’y a pas de considération de cet enfant, de cette perte. Ma maman, elle est très pudique. Elle ne m’a jamais posé de questions, jamais rien demandé. Les conversations sur la sexualité ou les choses comme ça, j’en parlais plus facilement à mon papa. Et lui a été très dur. Ce n’était pas ce que j’attendais à ce moment-là.
Gérald devait repartir travailler, donc il était un peu « mal, barre ». Il était entre les enfants et moi. Ce serait à refaire, je voudrais qu’on rentre tous à la maison, expliquer aux garçons aussi ce qui s’était passé parce qu’ils m’avaient conduite chez le médecin en me voyant comme ça. Pour eux c’était non plus pas facile! « Maman elle est inquiète, t’as conduit maman chez le médecin. » J’aurais rapatrié tout le monde à la maison et on en cause. On leur a dit en après. Parce que le soir, Gérald est venu me chercher chez mes parents. Il m’a conduite à l’hôpital. Et le matin, ils m’ont prise au bloc opératoire avec une narcose complète. Le médecin ne parlait pas d’autre chose. Il ne parlait pas de voie naturelle où ton corps fait le travail. Lui c’était vraiment son idée, que tu n’aies pas de mauvais souvenirs.
« On fait une narcose complète comme ça vous oubliez », sans le côté humain finalement.
Au début vu qu’il ne m’avait pas montré ce bébé sur l’échographie, pendant la nuit je me disais : « Mais peut-être, je vais le sentir bouger, peut-être ce n’est pas vrai, peut-être il s’est juste arrêté un petit moment, mais ça va reprendre. Est-ce vraiment vrai? Parce que je n’ai pas vu! Directement il a tourné l’écran vers lui donc je n’ai pas vu si ce bébé bougeait, bougeait pas. » Tu ne dors pas pendant la nuit, ça, c’est sûr. Tu es seule dans ta chambre. Et le matin, il m’avait prise assez vite. Je crois que je suis passée en premier.
Par contre quand je me suis levée, il y avait une infirmière là. Elle me dit : «Vous êtes en salle de réveil. Vous pouvez vous réveiller. Tout s’est bien passé. Il n’y a pas de soucis.» Et là, j’ai craqué.
J’ai vraiment craqué parce que tout est passé, mais il n’y a rien! Tu n’as rien! «On a tout aspiré, on ne peut rien vous montrer.» Je me rappellerai toujours la nana qui était en salle de réveil elle me dit :
- «Ah c’est votre première grossesse?»
Et je lui dis : - «non, c’est ma troisième, j’ai eu deux garçons.»
- «Et puis vous pleurez?»
Et là tu pleures.
Jusqu’à ce que Gérald vienne me chercher à l’hôpital, c’était dur. Tu ne sors pas de ta chambre parce que t’as la maternité à côté et y a ces bébés, y a ces «pitchous». J’ai passé mon temps derrière la fenêtre et je me suis dit : «Bon ben Gérald va arriver, ça va aller. Je vais rentrer à la maison. Maintenant, je veux rentrer! Je vais aller chercher les enfants. Je veux rentrer quoi!» J’ai trouvé qu’y avait peu de compréhension. Maintenant, je me dis qu’il faudrait que quelqu’un vienne d’une association pour parler, pour t’entourer, te comprendre, t’entendre. Ce moment à l’hôpital m’a paru long. Et à la maison, j’ai ressenti un vide. Un vide. On s’était projeté avec un bébé qui allait arriver. Les enfants qui commençaient l’école. On avait désiré ça.
On n’a pas réessayé. Moi, je n’avais pas envie de remplacer. Je me suis dit : «On en a voulu trois, c’est arrivé.» Pour moi, c’était clair et net. Il y en a eu trois. Et quand même au départ, la peur de traverser à nouveau ça. Je me disais : «Bon ben on en a deux, ça va bien.» Tu positives avec ça. Tout en te posant toujours des questions. J’avais 31 ans. Pour Gérald, pour moi, c’était comme si c’était bon.
Pendant longtemps, quand j’en parlais ça me prenait fort dans les émotions. J’essayais toujours de ne pas montrer ça aux enfants. Cette tristesse! Une tristesse qui m’animait. Tu pleures. Il y a aussi le moment où tu te dis, j’ai peut-être une maladie. Une fois, je suis rentrée d’Avry Centre, parce que j’ai croisé quelqu’un qui avait le cancer. Je me suis dit : «Mais peut-être j’ai le cancer. J’ai peut-être une maladie et la nature est bien faite.» Après y a beaucoup de gens qui se sont emmêlés, qui voulaient comme gérer. Je pense qu’ils sentaient que j’étais fatiguée et pas bien. Ils ont voulu me prendre les enfants à un moment donné pour me décharger. Et où il y a de la casse qui s’est un peu faite… pour la famille. Et là j’ai dit : «Non, mais Doris, maintenant ça ne va plus.» Par rapport aux enfants, je me suis culpabilisée de les oublier, de ne pas intervenir à certaines occasions. Je me suis dit : «Maintenant, tu ne peux pas laisser ça comme ça.» Ensuite, j’ai fait de la kinésiologie aussi avec la bio résonance. J’ai pu sortir un peu mes émotions. J’ai pu lâcher, faire mon deuil. Il a fallu un petit moment.
Gérald ne dit rien. Mais il est là. Ce n’est pas celui qui me parlera ou dira des choses. Mais des fois, je préfère comme ça que des gens qui viennent te dire des choses, mais c’est maladroit. Quand j’étais pas bien, il me prenait dans ses bras, à me réconforter. Je savais qu’il était dans la même peine que moi, mais sans rien dire. Par contre, par rapport aux enfants, je n’ai pas eu la force de leur demander à eux comment ils ont passé ça.
Je n’ai pas demandé le sexe de l’enfant. Jusqu’au bout, je n’ai pas demandé ce que c’était. Et en faisant le curetage, ils ne voyaient rien du tout. Ils aspiraient. Je lui avais quand même dit que j’avais mal passé ce cap, au contrôle d’après. Que ce n’est pas ce que je conseillerais à quelqu’un ! Le fait d’avoir un petit être, de pouvoir pleurer sur un petit être ou d’avoir quelque chose c’était peut-être mieux. Bon lui pratiquait comme ça, mais par contre il connaissait des associations si j’avais envie d’aller en parler. À aucun moment, il a remis en cause comment il pratiquait. Il n’y a pas eu de cérémonies ni d’analyses afin de savoir le pourquoi.
Avant le curetage, après que j’ai appris la nouvelle, le bébé était encore là. Je me rappelle que je lui parlais encore. Ouais, il était encore là. Alors ça fait drôle, car dans la journée je n’ai plus eu de saignements. J’ai eu le matin comme une hémorragie. Mais après je n’avais aucun autre symptôme, pas de douleurs ou maux de ventre, donc il était encore là. Ensuite tu te réveilles le lendemain matin et il n’est plus là. Le curetage, c’est un arrachement. À la limite, j’aurais préféré en ayant eu les deux grossesses avant où j’avais accouché naturellement, à accoucher ce petit bébé. À ce qu’on me provoque et qu’on puisse le voir, qu’on puisse être avec Gérald, les deux a pouvoir dire aux deux garçons : «Ça aurait été une petite fille ou c’était un petit garçon.» J’aurais préféré comme ça, plus naturel.
Des fois, quand j’ai des moments où tu as moins le moral où tu penses à de belles choses, je pense quand même que ça aurait été bien. C’est mon petit ange, s’il faut confier quelque chose à quelqu’un. C’était quand même une partie de moi.
Je me rappelle le moment où j’attends le son de son cœur mais le médecin me prend comme si je m’inquiétais pour rien, il tourne l’écran et tout s’arrête. Là tu te dis vraiment : «Ben oui je me fais un film, ça va aller y a pas de soucis. C’est vrai, ce n’est peut-être pas grave.» J’ai souvent ce flash-là. Où il tourne l’écran et c’est fini. C’est comme si on te prend et on te met dans la machine. Et t’es là! Tout a tourné, tout a basculé! Tout part dans tous les sens!
Ton travail c’est bien. Je trouve que le corps médical n’est peut-être pas assez informé ou a peur. Quand quelqu’un arrive pour ce genre d’intervention, ils devraient plus entourer la personne. Elle a tout autant besoin d’entourage que quand elle a le bébé. Elle est dans un moment de solitude intense. Il y a plein de questions qui se posent. Alors que pour eux c’est passé, c’est bon et ça va aller! De faire des travaux comme ça, les gens vont peut-être mieux se rendre compte qu’il y a quelque chose à faire là. Quitte à mandater une association, que quelqu’un vienne à l’hôpital quand il y a une fausse couche, comme première approche. Ils ont les mots pour. La famille parle peu. Ils ont peur de te faire mal et ils parlent peu. Pour eux, il n’était pas là, le bébé, donc ce n’est rien.
C’était beaucoup de vide.