Témoignage transcrit fidèlement de l'audio

Juliette

Ton papa est né au mois de décem­bre, un mois en avance. Il devait naî­tre en jan­vier. Mais avant cela, la pre­mière gros­sesse, je l’ai per­due à 2 mois et demi. Un jour, je sai­gnais un peu. Et hop, je suis là-bas (à l’hôpi­tal) pis c’était foutu quoi. Ils m’ont fait un cure­tage. Je vivais nor­ma­le­ment, j’avais 21 ans. Après je suis rede­ve­nue enceinte. La gros­sesse s’est dérou­lée. J’étais debout. Le doc­teur m’avait juste donné une pas­tille pour aider à le tenir parce que j’avais déjà eu une fausse cou­che. Mais en somme, je n’ai jamais arrêté d’être active. Je n’ai pas dû me cou­cher pour ton papa.

Après ça, quand il avait 2 ans, on a voulu avoir un deu­xième enfant. En 70, on a décidé d’avoir un deu­xième. Celui-là je l’ai perdu à 4 mois. Là c’est bizarre parce que cela ne s’est pas passé comme les sui­vants ou le pre­mier. Je sen­tais un peu des con­trac­tions. J’ai été chez le gyné­co­lo­gue, il m’a tout de suite ame­née à l’hôpi­tal, à la Clinique Garcia. J’étais là-bas bien ins­tal­lée dans mon lit, je ne sen­tais plus rien. Je me suis dit : « Ben c’est bon ! Ça ne bouge pas donc ça ne va pas venir. » Je me rap­pel­le­rai tou­jours, à midi, ils sont arri­vés avec le pla­teau du dîner. J’étais con­tente, un bon dîner qui arri­vait. Je ne sen­tais plus rien, ça bouge plus donc ça tient ! Total, j’avais pas com­mencé à man­ger que le doc­teur arrive et il m’annonce que le fœtus était mort. Après je n’ai pas pu dîner bien sûr. L’après-midi, ils ont dû me faire un cure­tage. Il avait déjà 4 mois. Le doc­teur m’a dit que j’avais la matrice mal tour­née, qu’il fau­drait opé­rer. J’ai fait faire cette opé­ra­tion. Ça pou­vait peut-être être une cause.

À peu près en 72, je me suis dit : « Bon main­te­nant, je veux de nou­veau essa­yer ! ». Le doc­teur m’a dit : « Bon vous savez ce que vous avez à faire, c’est vous met­tre au lit. » Parce que j’en avais perdu un et après l’autre aussi. J’ai dû me cou­cher quoi. À pas tout à fait 6 mois, bon ceux-ci avaient 6 mois et 1/4. On cal­cu­lait en mois à cette épo­que. Ça veut dire six mois et une semaine, à peu près. En fait, j’en avais tel­le­ment marre d’être au lit et ça allait, ça bou­geait pas. Il n’y avait rien qui se pas­sait. Un jour, on a été faire une pro­me­nade en voi­ture, un diman­che. On avait été jusqu’à Romont. Tout dou­ce­ment… Et puis, le len­de­main y avait les con­trac­tions qui com­men­çaient. Ou bien la nuit, je ne sais plus. Là, je l’ai perdu. J’ai dû aller à l’hôpi­tal parce que j’avais des con­trac­tions. J’ai eu toute la nuit des con­trac­tions. J’ai eu des dou­leurs. Fina­le­ment, ça n’a pas tenu ! J’ai accou­ché. Bon, c’était un bébé tout petit. Celui-là, il est dans le livret de famille ! C’est marqué, il fai­sait 31 cen­ti­mè­tres. J’avais dû lui don­ner un nom, Alexandre. Celui-là, il est ins­crit. Quand il est né, ils l’ont mis dans la cou­veuse parce qu’il était vivant. Mais il est mort pen­dant la nuit, les heu­res sui­van­tes. Au jour d’aujourd’hui, je ne sais pas, mais… ils en tirent en avant des comme ça.

Après, j’ai essayé encore une fois. J’étais aussi cou­chée, tout le temps au lit. Là, il avait 6 mois moins une semaine, moins que l’autre. J’ai eu des per­tes de sang, des con­trac­tions. J’ai été à la cli­ni­que. Une sœur, sœur St Bernard, je me rap­pelle, elle était gen­tille. Elle était « bon­nard ». Elle m’a prise dans une petite salle, seule avec moi. J’avais des dou­leurs. Pour finir, il est venu ! Il n’était pas mort. Tu sais, j’en avais déjà passé pas mal. J’étais là, je me rap­pelle, il est venu puis elle m’a dit vu que c’était une sœur : « Vous vou­lez que je le bap­tise ? ». J’ai dit oui. « Com­ment on l’appelle ? » Je ne savais pas quoi dire. (Rires) J’ai dit Pierre. Il est mort quand il était juste sorti, je crois, je ne sais plus. Tan­dis que l’autre, ils l’ont mis dans une cou­veuse, il a été plu­sieurs heu­res vivant et après il est mort.

Voilà ! Bon après j’ai dit bon ben j’en veux plus. Je veux plus essa­yer puis­que je les perds, les perds, les perds… J’avais Marc. Mais sinon je reve­nais tou­jours les mains vides. J’étais sou­vent dans une cham­bre avec une autre. On était deux par cham­bre. Elle, elle accou­chait, moi je repar­tais sans rien. Ce n’est pas drôle. Bon j’avais au moins Marc ! J’avais ton papa. Puis, il y avait des fem­mes qui ne pou­vaient pas avoir d’enfants ! Je me suis dit : « Mais moi j’ai quand même de la chance à côté de ces fem­mes, j’en ai un ! Au moins j’en ai un déjà ! » Je vou­lais tel­le­ment un deu­xième, on vou­lait un deu­xième.

Pour finir, je ne sais plus com­ment ça a été, je me suis trou­vée enceinte, vu qu’on a relâ­ché l’atten­tion. Là, j’ai eu le cerc­lage. J’ai passé toute la gros­sesse au lit. Je me levais pour aller aux toi­let­tes. La cham­bre et les toi­let­tes étaient tout près. Un matin, je ne sais plus à quel moment de la gros­sesse, ton papa avait déjà 8 ans, il allait chauf­fer le lait du matin. Ça devait être un samedi ou bien un diman­che. Il s’est brûlé ! Alors tu vois depuis la cham­bre à cou­cher à la cui­sine, il a crié ! Et moi je n’ai pas réflé­chi ! J’ai sauté dehors du lit ! Je suis encore tom­bée dans le virage… Pour aller voir parce qu’il avait crié. Et puis là… il n’y a rien qui a bougé… Tu t’en rends compte ? Ce n’était pas la fin, je sais plus, mais c’était trop vite. Tu sais, je n’avais pas réflé­chi, j’ai entendu crier mon fils. Il s’est brûlé avec le lait bouil­lant. Après je me suis recou­chée. Je m’atten­dais à ce que ça com­mence. Ce n’est pas venu !

Le doc­teur de Fribourg m’avait dit : « Un mois, j’ai les vacan­ces, je veux que vous soyez vue par le pro­fes­seur Berg à Berne, où vous irez si ça vous arrive pen­dant que je suis loin. » C’est l’hôpi­tal de mater­nité, le Frauenspital, près de la gare. Bon alors, c’était fin juillet. Il a pris un rendez-vous. On a été en voi­ture. Ils m’ont exa­mi­née, les étu­diants, le pro­fes­seur, tout ça c’était l’uni. Puis ils ont trouvé que la gros­sesse était plus avan­cée que ce que je disais. Que c’était bien­tôt le moment ! « Je ne sais pas, moi je suis sûre ! » Ce n’était pas les mêmes moyens, il y a 43 ans de ça. Ils pou­vaient mesu­rer les os, je crois. Alors ils m’ont gar­dée. Le doc­teur trou­vait que c’était le moment que je puisse avoir ce bébé. Ils m’ont enlevé le cerc­lage. Ils ont attendu. C’était l’après-midi, le début de soi­rée. Il n’y avait rien qui se pas­sait. Je ne sais plus ce qu’ils ont fait. Les con­trac­tions ont com­mencé. Il est né à minuit. En salle d’accou­che­ment, c’était long. La der­nière heure, ils ont amené tous les étu­diants. Sur la table où j’étais cou­chée, jusqu’à vers la fin, y en avait tou­jours un de plus qui venaient, des hom­mes, des fem­mes, des étu­diants d’obs­té­tri­que. Fina­le­ment, ça venait. Ils disaient la pièce de 5 francs pour l’ouver­ture quand c’était le moment. Plus ça avan­çait, plus il y en avait. Y en avaient 5 ou 6 de chaque côté. Tout en haut vers moi, il y avait aussi grand-papa qui était là. Ils étaient toute une ribam­belle pour écou­ter le pro­fes­seur ! Ah, il était bien ce pro­fes­seur, gentil, ado­ra­ble et très capa­ble. Le bébé est venu le crâne en avant. Ils ont uti­lisé des for­ceps. Ah et puis, pen­dant la gros­sesse, j’ai été 3 fois en catas­tro­phe à l’hôpi­tal ! Ils ont réussi à me sta­bi­li­ser. J’ai fait une fois 1 semaine et une autre 2 ou 3 semai­nes. Ah, je m’emmer­dais ! Ça a tel­le­ment ris­qué, et main­te­nant qu’il fau­drait, il sort pas, fal­lait le pren­dre avec les for­ceps ! Hoiyoyoy ! C’était quel­que chose. Paraît que c’était affreux à voir. C’est de gran­des pin­ces les for­ceps. Grand-papa il a dit : « Moi j’étais sûr qu’il allait être mort le bébé, comme ils ont fait. » Il a vu lui, il était là ! Il a cru qu’ils allaient le sor­tir et qu’il serait mort. Total non, il avait juste une petite égra­ti­gnure. Dans le temps, on disait le pain de sucre. Ils ont le crâne ten­dre les bébés. Avec cette pince, ça les fai­sait allon­ger. Après ça revient juste, sans qu’il y ait des dom­ma­ges. Mais là, non, il n’avait même pas le pain de sucre.

Ton papa, il est né trop vite. C’était un diman­che, on était en ville. Il y avait de la neige, de la glace. J’ai glissé. Je suis tom­bée brus­que­ment sur le genou. Il y a eu comme un choc. Et la nuit sui­vante, ça se dérou­tait.

Je ne savais pas pour­quoi j’ai eu tout ça. Ils n’ont pas trouvé. Je ne le sais tou­jours pas d’ail­leurs. C’était inconnu, je n’ai pas pensé que ça pou­vait m’arri­ver la pre­mière fois. C'est cela, mon ven­tre est devenu un cime­tière? Je n’avais pas de mal à deve­nir enceinte, mais je les per­dais. Tout le monde savait dans ma famille.

Je par­tais les mains vides ! Mais j’avais ton papa. Moi au moins j’en ai un. Des fois, j’y repense.

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